:(j'avais eu le plaisir de faire une double page dans le regretté "joe bar mag" avec cette tranche de vie)
"C’était du temps ou j’étais jeune et con. Maintenant, je suis vieux et con mais c’est une autre histoire...
En ces temps reculés donc, quand elle acceptait de craquer et que j’avais pu siphonner assez de kérosène dans la tondeuse du tonton, je roulais Flandria - 3 vitesses à main, refroidissement par turbine, cadre en tôle emboutie, selle biplace - Whouaaaa ! ! !Le top outil pour draguer les cousines ! Vu que les autres chevauchaient un vélo ou une Bleue décatie, j’étais un Dieu. LE Dieu (surtout quand mon grand frère s’éloignait un peu).
Bon forcément, ça n’a pas duré. Tant de bonheur, tant de joie, c’était trop pour un seul être.
C’est cet été-là, que les événements m’ont cruellement fait prendre conscience de l’âpre combat qu’est la vie.
La lutte féroce a commencé du jour ou un fils à papa s’est pointé un avec un cyclo énorme, plein de chromes, d’aspect chopper (on ne disait pas custom à l’époque). Red rose ça devait s’appeler. Tout neuf, brillant de partout et un grand guidon comme dans Easy Rider ! J’étais sur le cul. Mais pire, il avait une sœur ce con.
Et sa sœur, mazette ! Bon dieu, je savais même pas qu’une fille comme ça pouvait exister ! Une poupée aux galbes parfaits. Cette bombe le savait et réservait ses apparitions. J’étais incapable de prononcer un mot dès qu’elle s’approchait à moins de 20 mètres de moi.... Ses petits seins qui tendaient son tee-shirt m’hypnotisaient instantanément. Un regard d’elle et je m'évanouissais. Bref , cupidon m’avait gravement transpercé de ses flèches. J’étais raide dingue (dans tous les sens du terme..).
Question de vie ou de mort ; il fallait que je trouve un piège à fille autrement plus performant que ma Flandria, tout juste bonne à capter l’attention des filles de ferme. Un outil capable de me donner le courage de l’approcher. C’était pas gagné, vu ma timidité maladive et l’épaisseur de mon portefeuille.
Direction l’atelier, la Flandria. Là, au fond contre le mur, un Mobix jaune prend la poussière depuis une ou deux saisons. Le Mobix c’est une espèce de mobylette repliable en forme de valise, avec des toutes petites roues en alliage et ... un très grand guidon, pas loin d’un mètre le guidon. Vraiment très grand. Oui, encore beaucoup plus grand que celui de la meule du frangin de qui vous savez. Eh oui, c’est important la taille...
C’est La solution. Elle est là, devant mes yeux : je vais accoupler la Flandria et le Mobix. Je vais pouvoir l’éblouir. Peu être va-t-elle me voir.. J’en ai rêvé si fort que les draps s’en souviennent.
Dès l’aube, je vire le guidon et la roue arrière du Flandria et je remplace par les pièces du Mobix. Pas trop de blème, ça a l’air de tenir. Faut juste raccorder le frein arrière. Pas question de garder le frein au pied, trop compliqué. Un troisième levier au guidon, un long câble jusqu’au tambour, c’est Ok. Pas oublier de bloquer le tambour en rotation. Un serflex, devrait tenir.
Le look est mortel ! Avec la petite roue arrière, la fourche est projetée vers l’avant, le guidon à l’air encore plus long ! Le Captain America de Peter Fonda fait tricycle pour puceau émasculé à côté de ma bête.
Y a plus qu’a essayer... Il est midi, le soleil tape déjà dur. C’est donc en short et lunettes de soleil que se fera l’essai. Torse poil, pieds nus, cool quoi. Je roule pépère trois ou quatre bornes et décide de rentrer. Tout va bien, je suis un Dieu de la mécanique et j’ai le plus bel engin..
Après la dernière côte, c’est la descente sur le village. D’en haut, je l’aperçois. Ma poupée thermonucléaire est là devant chez elle. Elle fait la belle devant trois ou quatre ploucs. Ca va être mon tour. C’est ma chance. Il faut briller, être le meilleur. Je vais lui faire un freinage en dérapage hyper contrôlé, stopper pile poil devant ses pieds et lui sourire. Après on verra.
Tout est allé très bien jusqu’au freinage.. Quand j’ai empoigné mon levier de frein, la réaction de ma brêle n’a pas été celle que j’avais imaginée. Le serflex qui devait arrêter le tambour en rotation a dû glisser. Je suis donc passé devant cette fille sans ralentir et déjà assez vert de trouille.
Le tambour a tourné sur lui-même, enroulant le câble de frein.
On pourrait se dire on s’en fout, plus de frein arrière, il reste le frein avant. Mais non, c’est plus subtil : la traction du câble sur ce putain de grand guidon a eu deux conséquences. La première, c’est de tirer le guidon à droite puis, de tirer ce merdier de grand guidon d’un mètre vers l’arrière. En un quart de poil de seconde, je suis passé de la position « mains l’air » à la position « mains dans le dos » sans lâcher les poignées... Essayez, c’est fantastique pour avoir l’air d’un golio et obtenir une trajectoire parfaitement rigoureuse, se terminant immanquablement vautré dans la fange.
Lamentable gaufrage sous ses yeux. Son rire cruel m’a fait plus mal que les graviers incrustés dans mon dos pour le reste des vacances. J’ai jamais su comment elle s’appelait, et pas cherché à le savoir. Inutile de dire que depuis j’ai une nette préférence pour les guidons bracelet et j’évite les approches frime."
